dimanche 9 novembre 2014

Berlin 25 ans après le mur : une tranquille anarchie

Imaginez un endroit où les vélos s'enfourchent sans casque et les chiens se promènent sans laisse. Où chaque dépanneur et épicerie a sur le comptoir un décapsuleur au bout d'une ficelle pour vous permettre d'ouvrir immédiatement une bière bien froide. Où vous pouvez descendre cette bière sur le trottoir ou, pourquoi pas, assis dans un parc ou sur un pont avec vos amis. Où les transports collectifs fonctionnent en continu chaque fin de semaine pour vous mener d'une fête à une autre. Où l'on vend de délicieux sandwichs (doner) à 2 euros à toute heure et jusque dans le métro. Encore mieux, où l'on ne vous rappelle pas chaque instant les épouvantables dangers et maladies qui vous guettent. Difficile, hein?

Cet endroit existe. Il s'agit de la ville de Berlin, qui célèbre aujourd'hui le 25e anniversaire de la chute d'un mur hideux. Celui qui a ceinturé sa partie ouest pendant des décennies afin d'empêcher officiellement sa culture décadente de contaminer les braves socialistes de l'est. Dans les faits, il s'agissait plutôt pour l'URSS de mettre fin à la fuite des résidents de l'est, ce qui lui faisait perdre la face.


Si proche et si loin à la fois

Boulimique d'information depuis ma naissance, j'ai suivi l'histoire de Berlin pendant ma jeunesse et vécu sa libération avec émotion en 1989. Berlin me paraissait alors si proche et si loin à la fois. Une mystérieuse impression de la connaître déjà, peut-être même d'y avoir déjà vécu dans une ancienne incarnation. Une mystérieuse affinité avec la culture germanique, comme en témoigne encore ma passion pour le groupe Rammstein, les crayons Staedtler et les souliers Josef Seibel.

C'est avec une fébrilité difficile à contenir que j'y ai enfin mis les pieds pour un séjour de deux semaines en juin dernier. Si je n'y ai pas reconnu le décor d'une vie antérieure, j'ai bel et bien identifié l'endroit où je souhaite vivre dans un futur rapproché. Depuis mon retour, il m'arrive parfois de regarder au loin et de me demander soudainement Pourquoi ne suis-je pas à Berlin?


Une tranquille anarchie

C'est grisant tant de liberté. On me dit que cela ne fonctionnerait jamais au Québec. Je ne suis pas d'accord. Qui a décidé que nous étions tous des enfants? Il est vrai qu'à Berlin, les gens demeurent stoïques si un inconnu les bouscule sur la rue, si un conducteur freine trop brusquement. Ne pourrions-nous faire preuve de la même maturité? Et si on s'accordait tous un peu d'indulgence, à commencer par soi-même? Si c'est cela l'anarchie, nous n'avons pas à la redouter.


East Side Gallery

Revenons à Berlin. En bons touristes, nous avons passé les premiers jours à vérifier constamment si nous étions à l'est ou à l'ouest, une question assez difficile à trancher au cœur de la ville tant le tracé du mur était sinueux. Presque effacé de la trame urbaine, à l'exception de quelques pans conservés à titre de vestiges, dont les 1300 mètres du East Side Gallery, il est absent de la majorité des cartes. Cela nous surprenait jusqu'à ce que nous comprenions que la question n'a plus la moindre pertinence. Berlin vibre comme une seule et même grande ville, immense, belle, ancienne, moderne. Et libre, mais cela je vous l'ai déjà dit.

Rappeler le passé

Topographie des Terrors
Les cicatrices du no man's land ont été recouvertes de nouveaux édifices, les anciens hauts lieux du nazisme presque tous remplacés par des bâtiments anonymes afin d'éviter le culte... Cela dit, Berlin ne manque pas à son devoir de rappeler le passé.

Elle le fait avec une objectivité et un bon goût surprenants au moyen de plusieurs installations modernes parsemées dans la ville comme la «Topographie des Terrors» sur l'ancien site de la Gestapo.

Holocaust-Mahmal

Que dire aussi du Holocaust-Mahmal, où se dressent 2711 stèles en mémoire des victimes du nazisme. Et ne cherchez pas l'ancienne chancellerie d'Hitler. Une modeste plaque indique le lieu, là où se trouvent maintenant des édifices anonymes avec des salons de coiffure et des dépanneurs au rez-de-chaussée. Pour son ancien bunker, c'est un simple stationnement qui le recouvre.


Dôme du Riechstag
Après ce pèlerinage obligé, vous pouvez vous laisser entraîner par ce que la ville a de mieux, comme la visite du parlement, le Reichstag. Son étonnant dôme de verre représente la transparence du nouveau gouvernement.








Brandenburger Tor



Passez ensuite à côté de la Brandenburger Tor, identifiée à jamais à la chute du mur, et sautez dans l'un des bateaux qui attendent pour vous promener dans les nombreux canaux de la ville (une bière et un bretzel à la main) et en particulier autour du Museuminsel, un ensemble de musées regroupés sur une île.


Museuminsel




En quittant le bateau, visitez le DDR Museum, qui vous présentera avec humour le mode de vie des anciens habitants de l'est. Il est même possible d'y casser la croûte avec des mets typiques, si votre choix est encore disponible! Le musée s'amuse, en effet, à rayer des items du menu pour que vous viviez l'expérience des "Ossis" jusqu'au bout...




DDR Museum

 


Être là où ça se passe


Je pourrais continuer ainsi pendant des heures, mais je crois que vous avez saisi
l'essentiel. Peu importe l'heure et le quartier où vous vous trouvez, Berlin vous remplit d'une impression d'être là où ça se passe. Que ce soit dans une fête ou en vous régalant dans un merveilleux "biergarten" sans prétention, personne ne vous regardera, ne vous fera sentir comme un intrus.




Reproduction de toilette est-allemande



Personne sauf si... vous portez une robe vert lime ou autre frivolité du genre. La journée où j'ai revêtu la mienne, c'est comme si ma cape d'invisibilité m'était retirée. Je me sentais comme ces personnages du film Inception qui s'invitent dans les rêves et en sont pourchassés comme des corps étrangers par le subconscient du dormeur.





Too much color?

J'ai compris de quoi il en retournait dans une boutique. Après m'avoir tendu un sac fuchsia, la vendeuse a eu une hésitation et m'a offert un sac noir en échange. Sans comprendre le motif de sa proposition, je l'ai assurée que le premier sac faisait l'affaire. Se mordant la lèvre un instant, elle a pointé ma robe, puis le sac en demandant : « You sure it's not too much color? » En riant, j'ai répondu : « No, it is not too much color for ME! »

Qui penserait à harmoniser sa tenue et son sac de commissions sinon un Berlinois? Partout le bleu marin, le beige, le gris et le blanc sont rois. Est-ce un vestige du communisme ou le témoignage de cette belle insouciance qui les rend adorables? Un guide de voyage m'avait prévenue : les Berlinois ne respectent aucun code vestimentaire. Ils se rendent même à l'opéra en pantalon de jogging. Je confirme. Même s'il n'est pas rare de croiser des femmes très élégantes (vêtues de bleu marin, de beige, etc.) aux terrasses de beaux restaurants, la belle jeunesse grouillante, laquelle est majoritaire dans les lieux publics, n'en a que faire du m'as-tu-vu.

Ces énervés de Québécois

Monster Kabinet
Bien sûr, du côté des Berlinois, les couleurs et les textures criardes dont les Québécois moyens n'hésitent pas à se parer doivent leur paraître aussi discutables. J'en ai eu une autre preuve en dansant avec mon chéri dans une fête donnée sous un chapiteau. Avant de poursuivre, je me dois d'ouvrir une parenthèse sur la danse... Berlin est la capitale de la musique techno et d'avant-garde. Il me tardait d'y apprendre de nouvelles danses branchées. Quelle ne fut pas ma surprise de constater le calme avec lequel on s'adonne là-bas à cette activité. Partout où nous avons sévi, nous étions les excités de la place avec nos bras qui remuaient et nos pieds qui s'adaptaient au rythme de chaque pièce...

 
Imaginez maintenant la commotion sous le chapiteau lorsque nous avons commencé à danser à la québécoise, moi vêtue d'une longue robe léopard et chéri portant sa plus belle chemise rose fleurie de Desigual. Autour de nous, plusieurs Berlinois nous filmaient sans même s'en cacher... Qu'importe! Même en vedette sur YouTube sous «Dancing fools in Berlin», nous comptons bien y retourner.

Poivre de Cayenne

En terminant, je vous confirme que nul n'est prophète en son pays. J'ai rencontré peu de crayons Staedtler ou de souliers Josef Seibel. Encore moins de signes de Rammstein. Et évitez d'en faire la demande à un DJ berlinois. Il vous aspergera de poivre de Cayenne. Il faut croire que Rammstein est pour eux ce que Céliiine est pour nous.







Bonnes célébrations, chers Berlinois! Et félicitations pour ce devoir de mémoire que vous nous offrez!

 



 
 

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